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7 décembre 2012 5 07 /12 /décembre /2012 19:13

Bonjour,

 

Un dernier petit billet aujourd'hui pour finir de vous présenter Une autre Amérique, le tout dernier supplément sorti pour Tecumah Gulch, disponible chez Lulu et sur Rapide JdR. Après le sommaire, voici la nouvelle d'intro qui ouvre le volume.

 

couvTG-UAAmini

 

En vous en souhaitant une très bonne lecture,

 

Cédric B.

 

* * *

 

 

Le jeune Brian écoutait silencieusement l'ancien depuis bientôt une heure. Il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait fait preuve de tant de patience devant un discours aussi barbant. Peut-être était-ce lors du prêche du pasteur Johanssen, quand il vivait encore dans la ferme de ses parents et que le moindre bruit durant la messe était synonyme de coups de ceinture du père ? Là, assis en plein soleil sur un cheval, Brian retrouvait ces sensations d'enfance oubliées, lorsque toutes ses articulations semblaient l’abandonner. Mais il tenait bon et le vieux parlait toujours.

- Tu vois, le truc, c’est que tout va trop vite maintenant… Entre les trains qui transpercent la plaine plus rapidement que la flèche d'un Sioux et le télégraphe qui ne te laisse aucun répit où que tu sois, les hommes n'ont plus le temps d'apprécier le monde qui les entoure.

Devant l'absence de réaction du jeune homme, le vieux Marvin renonça à lui expliquer sa façon de voir le monde. Comment un garçon aussi jeune que lui pourrait comprendre que le monde qui l’entoure n’a pas toujours été tel qu’il est ? C’était déjà difficile pour Marvin Brown de le réaliser, alors l’expliquer ou le comprendre semblait hors de portée.

Marvin était un cow-boy à l’ancienne. Il avait connu la guerre de Sécession, ses champs de bataille et ses chevauchées derrière les lignes ennemies. Il avait connu les nuits sans lumière, perdu au cœur de la prairie. Pour lui, rencontrer un homme alors qu’on n’avait plus vu âme qui vive depuis des jours n’était pas toujours une bonne nouvelle.

Quand Marvin avait l’âge du jeune Brian, la seule loi était alors celle du Colt et le seul juge, le temps pour dégainer et tirer. Maintenant, tout était régulé, lissé, apprivoisé. Marvin en avait récemment fait l’amère expérience en recevant une amende pour avoir chassé un animal dans un lieu où la chasse était réglementée ! Pourtant, le droit d'un homme de chasser son gibier n'avait-il pas toujours existé ?

- Les hommes, les hommes, répéta Marvin, ils nous mettent toujours plus de barrières, de contraintes. Chaque progrès technique, c'est une liberté qu'on te vole, tu piges fiston ?

Marvin et Brian arrivait en vue d'El Paso. Cela faisait plus d'une semaine qu'ils campaient à la belle étoile et le jeune garçon était pressé de se plonger dans un bon bain chaud. Il fouetta doucement l'encolure de sa monture pour la lancer au petit trot.

- Le progrès a quand même du bon, parfois, plaida-t-il en se tournant vers son compagnon.

- Rien, rien de rien. Nada comme ils disent de l'autre côté du Rio.

- Mais la médecine...

- Les médecins, tout ce qu'ils savent faire, c'est t'inventer de nouvelles maladies. De mon temps, on était en bonne santé. Aujourd'hui, les savants font de nous des mauviettes.

- Et la photographie ?

- Pour voir des horreurs ? Ou ta tronche affichée par la police ? Non merci.

- Et le train ?

- Quoi ? Tu monterais dans ces trucs bruyants et puants ? On est pas mieux sur nos canassons ?

- Et le télégraphe ?

- Pfff... Les mauvaises nouvelles arrivent toujours bien assez tôt.

Les deux hommes arrivèrent devant le Golden Spur. Ils mirent pied à terre et attachèrent leurs montures. Ils pénétrèrent dans l'hôtel sans s'annoncer. Depuis toujours Marvin Brown logeait dans cet établissement quand il faisait halte à El Paso. Le gérant le reconnut, le salua et lui fit signe d'approcher.

- Donc, il n'y rien de bon dans toutes les inventions qui nous viennent de l'Est ? questionna Brian.

- Nope, lança le vieil homme avant de lancer un jet de salive dans un crachoir au sol.

Se tournant vers le gérant, il reprit :

- Tu as un message pour moi ?

- Oui, répondit l'homme avec un grand sourire. J'ai reçu un télégramme pour vous il y a cinq jours me demandant d'aller vous chercher un paquet à la poste restante. Il y avait cette lettre dactylographiée et cette photographie qui vous étaient arrivées par le train.

Surpris et tremblant, Marvin prit le petit paquet que lui tendait l'hôtelier. Il y découvrit une longue lettre de sa fille qui se concluait par cette phrase : « Et pour toi mon papa chéri, j'ai fait faire une photographie de ton petit-fils Josuah, né le 17 décembre ». Une larme de joie roula sur sa joue creusée par les ans. Le vieux cow-boy se racla la gorge et se tourna vers son jeune compagnon :

- Le progrès a au moins un avantage, concéda-t-il. Il nous apprend l'humilité et que nul n'est infaillible.

 

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